Comme le cite très justement Jean Haëntjens dans son ouvrage la ville frugale, « la cité politique et humaniste s’affirme donc comme une ville concrète qui a les pieds sur terre et ne perd pas le fil avec son environnement naturel. Elle ne se contente pas de camoufler ses tours avec de la verdure […] elle s’intéresse méthodiquement à tous les usages possibles de la nature en ville ». Cette approche avait été énoncée à l’occasion du sommet de Rio (1992), par la convention mondiale sur la diversité biologique qui indiquait que « la diversité biologique est un élément constitutif sur le plan environnemental, génétique, social, économique, scientifique, éducatif, culturel, récréatif et esthétique ». Malgré ce rappel aux décideurs, le sommet de Johannesburg (2002) constatait le peu de moyens mis en œuvre et rappelait l’urgence de stopper l’érosion de la biodiversité. Près de 20 ans plus tard, la situation est devenue encore plus catastrophique aux dires du rapport de l’IPBES du printemps 2019 (Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystems), en annonçant le début de 6ème extinction de masse.
Développement durable et territoires – décembre 2012
Face à ce constat alarmant, le « Grenelle de l’environnement » a introduit la notion de « trame verte et bleue », dont l’objectif consiste à recréer la continuité écologique morcelée par l’urbanisation massive de nos villes, renforcée par la loi de 2016 sur la biodiversité.
Cet article, très succinct, vise à rappeler les différentes réflexions à mener pour réussir les projets de végétalisation de nos cités (hors bâtiments).
Diagnostiquer et établir les objectifs
La mise en place d’une gestion différenciée demande du temps et se construit progressivement en débutant par une analyse de l’état initial et en formulant les objectifs poursuivis eu égard au diagnostic.
Si le présent document explore plus particulièrement le végétal, il convient néanmoins d’analyser globalement le « vivant » local et plus particulièrement l’éventuel voisinage avec des espaces classés Natura 2000 ou ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique). Il peut être intéressant de constituer un cadastre vert pour identifier clairement la biodiversité (faune, flore, hydrologie superficielle, zones humides). On en profite pour synthétiser les contraintes climatiques, édaphiques et socio-économiques. On n’oubliera pas les aspects administratifs (SCOT, PLU) ainsi que les projets de développement et la densité urbaine.
Simultanément à cet état, on examine les objectifs visés : préservation de la biodiversité, réduction des consommations d’eau, accueil du public, implication des habitant dans une politique de partage, réduction des îlots de chaleur, proximité de terres agricoles et d’intrants chimiques, etc. Enfin, on évalue les moyens humains et matériels dont dispose la commune.
On en déduit un programme d’actions à mener et son calendrier sans omettre les aspects de communication, voire de formation du personnel concerné par les aménagements.
Offrir un cadre de vie agréable, sûr et sain
Certes le foncier est coûteux et convoité, mais la relégation des espaces verts en seule périphérie ne répond pas totalement à l’attente des citoyens. Il y a donc lieu de différencier les grands parcs urbains, des jardins privatifs (non développés dans ce résumé), des cœurs d’îlots et des squares. L’OMS (Organisation Mondiale pour la Santé) conseille une surface d’espaces verts d’au moins 10 [m2] en zone centrale et 25 [m2] en secteur périurbain par habitant.
Les parcs favoriseront le développement des activités sportives et récréatives, mais aussi de découvertes pour améliorer le « vivre ensemble ». Ils posent cependant la question de la sécurité des personnes et des biens. Faut-il fermer les accès durant les périodes nocturnes, installer de la vidéoprotection, disposer d’un éclairage suffisant sans pour autant induire la pollution lumineuse (niveau réduit avec éclairage plus puissant sur détection par exemple) ?
Les réponses sont multiples et doivent être adaptées à la situation locale identifiée par le diagnostic. Toutefois, des formes linéaires sont favorables à une surveillance implicite par les circulations et les immeubles riverains.
C’est cependant au niveau du quartier ou de l’îlot que se joue la qualité de l’environnement et l’acceptabilité de la densification promue par les pouvoirs publics pour stopper l’artificialisation et le mitage du territoire. L’urbanisation jour ici tout son jeu ; plus la taille de l’îlot est importante, plus la part appropriable par les espaces verts sera significative, comme le montre le schéma ci-dessus extrait de l’ouvrage la ville frugale.
Chemin boueux - Auteur
Un second volet de l’organisation de l’espace vert porte sur l’accessibilité aux personnes dépendantes. La première intention porte sur la qualité et le repérage des cheminements. La déambulation doit être facilitée pour tous, notamment les personnes en fauteuil roulant. Fort de réduire l’imperméabilisation, le choix du revêtement est malheureux en favorisant un sol meuble, facilement boueux ou encore avec un roulement difficile. Il existe des matériaux, à la fois dur et simultanément poreux ; de même, le choix de la colorimétrie ou encore des signaux sonores peut aider les mal-voyants.
Confortable, accessible sont effectivement des objectifs indispensables, mais il convient aussi d’examiner le volet sanitaire. La sphère médicale s’accorde à souligner que l’asthme, particulièrement induit par les poussières et les pollens, deviendra la seconde maladie chronique des pays industrialisés au cours de ce siècle (après le diabète) ; on peut aussi associer à cette préoccupation, celle des arbustes toxiques. Dès lors, on comprend l’attention à porter sur le choix des essences. Il apparaît évident de limiter les arbres considérés comme très allergènes et de diversifier les plantations pour réduire ce risque et les périodes de pollinisation. Le Réseau National de Surveillance Aérobiologique (RNSA) fournit des indications utiles et fines (à l’échelle de la ville) pour aider les concepteurs.
Profiter des bénéfices environnementaux
Source : Le Moniteur
Au-delà du cadre de vie, les bénéfices liés à la végétalisation sont appréciables. D’un point de vue thermique, les feuillus contribuent à la réduction des îlots de chaleur par le biais de l’évapotranspiration et protègent les bâtiments voisins des apports solaires estivaux. En revanche, deux autres critères apparaissent dans la sélection des essences. En premier lieu, il convient d’opter pour des arbres à feuilles caduques et des essences non marcescentes pour profiter du rayonnement solaire en hiver. Le second critère porte sur l’anticipation des effets du changement climatique. Le dogme de végétaux autochtones n’est plus systématiquement la logique puisqu’il faut envisager des périodes caniculaires intenses et répétées. de nombreuses hêtraies (avides d’eau) ont « brûlé » par manque d’eau en cet été 2019. Une piste consiste à développer des jardins à sec même au nord de la Loire.
Au-delà de l’aspect thermique, les végétaux contribuent à absorber les gaz à effet de serre ainsi que différents polluants gazeux. On notera également que les haies s’avèrent des barrières utiles pour limiter les coups de vent et la diffusion des poussières.
Source : Paysage actualités
Au niveau acoustique, la réduction des bruits aériens reste limitée, sauf à disposer d’une profondeur significative d’arbres rarement atteinte en milieu urbain. Parfois, c’est même le contraire, une disposition maladroite peut créer un effet Venturi et renforcer simultanément le bruit et la diffusion des particules.
Entretenir
Le dernier couplet portera sur les aspects d’entretien impliqués par la nature dans nos cités. A l’instar de nos équipements, il convient de clairement anticiper les problématiques engendrées par le végétal en milieu urbain et d’organiser sa cohérence avec les autres préoccupations socio-économiques. En effet, on affirme trop souvent qu’une fois l’investissement réalisé, la nature se débrouillera seule.
La première image qui vient à l’esprit porte sur le « laisser-aller ». On peut ainsi s’apercevoir que des cheminements sont entachés par le débordement des espaces verts ou encore des adventices au détriment des personnes en difficulté de déambulation. A contrario, on assiste à un aspect visuel parfois désastreux des ravages occasionnés brutalement par les épareuses sans aucune nuance dans l’art de traiter les végétaux.
Le second aspect, proche du précédent, repose sur l’utilisation désormais massive des souffleurs à feuilles. On a déjà évoqué la question sanitaire avec les pollens à laquelle on peut ajouter la propulsion des poussières par ces engins. Certainement, en matière de pénibilité, la solution est plus pratique pour le personnel (et plus rapide que le balai), mais n’occasionne-t-elle pas un risque aggravé de maladies respiratoires (et plus), tant pour le public que pour les employés ?
La problématique des feuilles mortes ne se réduit d’ailleurs pas à la seule question de leur élimination, mais aussi à la gestion des eaux pluviales. Combien d’exutoires sont ainsi obstrués par l’amoncellement des végétaux avec pour corollaire des coûts induits, soit directement par des curages supplémentaires, soit par le traitement en station d’épuration ?
Sources : auteur
Et puisque l’on évoque les évacuations, parlons aussi de l’arrosage qui a été particulièrement contrarié cet été par la réduction des ressources. Outre le choix de végétaux sobres ou des jardins à sec, la question de l’arrosage mérite d’être étudiée. Lors de l’appel à projets des REX en 1992, une équipe avait proposé de récupérer les eaux pluviales des bâtiments publics dans une perspective de stockage pour l’arrosage.
Malheureusement, cette solution n’a pas été réalisée, mais mériterait d’être relancée. Une autre option qui commence à voir le jour porte sur la réutilisation des eaux usées épurées pour le monde agricole (et sur dérogation pour les terrains de golf). L’objectif fixé en conclusion de la deuxième séquence des Assises de l’eau (novembre 2018-juin 2019) vise à tripler les volumes d’eaux non conventionnelles à l’horizon 2025, mais les professionnels se heurtent à la réglementation sanitaire et ne comprennent pas cette attitude quant on évoque en permanence l’économie circulaire.
Enfin, plus accessible immédiatement, la réalisation d’un bilan hydrique permet de connaître l’état de la réserve en eau du sol en tenant compte des quantités d’eau nécessaire selon les végétaux et les apports liés à la pluviométrie. Moins de 10 % des communes utilisent ces notions agronomiques pour piloter l’arrosage. Par ailleurs, et en complément à cette évaluation, les types d’arrosage doivent être adaptés aux typologies végétales.
Extrait de l’article « Arrosages des espaces verts et économie d’eau » - Moniteur janvier/février 2010